
Ituri – État de siège, quatre ans après : la paix fuit, la population s’essouffle
Le 6 mai 2025 marque les quatre ans de l’instauration de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, une mesure exceptionnelle décrétée par le président de la République pour endiguer l’insécurité chronique dans cette partie orientale de la RDC. Mais à Bunia, chef-lieu de l’Ituri, la population exprime une fatigue palpable vis-à-vis de ce régime militaire. Entre espoirs déçus et résignation, les voix s’élèvent pour en questionner l’efficacité.
Lors d’un micro-trottoir mené ce mardi par la rédaction d’Ituri.cd, les réactions des habitants témoignent d’un profond désenchantement. Si certains concèdent une relative accalmie dans certains territoires, la persistance des violences dans le territoire de Djugu cristallise les frustrations.
« Les gens ont quand même respiré, sauf les tueries continuent dans le territoire de Djugu », a confié un habitant, tout en saluant une stabilité partielle dans d’autres zones.
Mais pour d’autres, l’heure n’est plus à la nuance. Le sentiment d’échec est flagrant. Selon plusieurs témoignages, l’état de siège n’a pas tenu ses promesses, bien au contraire. Son maintien prolongé, sans bilan clair ni amélioration significative, fait dire à certains que la solution militaire a atteint ses limites.
« L’évaluation de l’état de siège est trop regrettable. Les autorités étaient envoyées pour rétablir la paix, mais aujourd’hui, je ne peux plus aller dans mon village, on risque de me décapiter », témoigne un autre habitant, visiblement marqué par la peur et la nostalgie d’un temps où l’administration civile semblait plus rassurante.
Ce ressenti est partagé par nombre de conducteurs de taxi-motos, souvent premiers exposés aux risques sur les routes.
« Cela fait quatre ans que l’état de siège est prorogé. Quel est le bilan ? Rien, à part le pillage de nos ressources. Les autorités ont failli », dénonce un chauffeur, en colère contre un système qu’il juge inefficace et corrompu.
L’un des objectifs affichés de cette mesure était de démanteler les groupes armés et rétablir l’autorité de l’État. Pourtant, quatre ans plus tard, ces groupes continuent de sévir dans la brousse. La peur reste omniprésente, et le tissu économique en souffre.
« Moi, on m’avait dit que l’état de siège allait mettre fin à la guerre. Mais les miliciens sont toujours là. Même pour quitter Bunia, on a peur. Nous les taximens, on ne peut plus aller dans les territoires », déplore un autre intervenant.
Face à cette grogne croissante, le gouvernement reste inflexible. Les nombreuses prorogations de l’état de siège, malgré les critiques des leaders politiques et de la société civile, traduisent une volonté présidentielle de maintenir le cap, quitte à s’éloigner de la population.
Un régime à bout de souffle ?
Quatre ans après sa mise en œuvre, l’état de siège semble de moins en moins crédible aux yeux des Ituriens. Certes, des zones ont connu une baisse relative des violences, mais les résultats globaux sur la paix, la sécurité et la reconstruction restent maigres. La militarisation de l’administration provinciale n’a pas permis de restaurer pleinement l’autorité de l’État, ni de protéger durablement les civils. En revanche, les dénonciations de violations de droits humains, de pillages économiques et d’inefficacité se multiplient.
Le débat sur le retour à l’administration civile devient de plus en plus central. La restauration de la confiance entre la population et les institutions passe désormais par une évaluation sérieuse, transparente, et surtout participative de cette mesure d’exception. Sans cela, la lassitude pourrait très vite se transformer en rejet généralisé du régime militaire.
La question qui se pose aujourd’hui est simple mais cruciale : combien de temps encore Bunia et l’Ituri devront-ils attendre pour retrouver une paix réelle, durable, et respectueuse de la dignité humaine ?
Rachidi Kudra depuis Bunia
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