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Ituri : Armes, larmes, et pardon… le dialogue d’Aru, est-ce une paix rêvée ou une guerre recyclée ?

Alors que la province de l’Ituri est secouée depuis des années par une succession de conflits communautaires et d’activités armées, un nouveau dialogue intercommunautaire et intergroupes armés s’est ouvert ce lundi 23 juin 2025 à Aru, à l’extrême nord-est de la RDC. Cette nouvelle initiative est portée par le gouvernement congolais en partenariat avec la Monusco, mais une question demeure : cette énième tentative de paix produira-t-elle des résultats différents ?

Une série de dialogues à répétition

Depuis 2022, l’Ituri a été le théâtre de plusieurs cycles de dialogues impliquant les principaux groupes armés locaux : CODECO, FRPI, FPIC, MAPI (branche dissidente du groupe Zaïre), et plus récemment Chini Ya Tuna.

  • En novembre 2022, lors du processus de Nairobi III, plusieurs factions de CODECO, FRPI et FPIC s’étaient engagées à déposer les armes.
  • En mai-juin 2023, à Aru déjà, un protocole de paix avait été signé entre les mêmes groupes, incluant une feuille de route de désengagement, de restitution des otages et de soutien au P-DDRCS.
  • Le 19 avril 2024, un acte solennel de cessation des hostilités avait été signé à Bunia, avec des menaces de représailles en cas de violation.
  • Et en mai 2025, un dialogue communautaire élargi à Bunia avait réuni des leaders des milices et chefs communautaires autour des thèmes de la justice transitionnelle, du pardon et de la cohabitation pacifique.

Pourtant, malgré ces engagements écrits et parfois médiatisés, la violence n’a pas disparu : des attaques ont continué, les routes sont restées dangereuses, et les civils toujours en insécurité dans plusieurs zones du territoire de Djugu, Irumu ou Mambasa.

Pourquoi tant d’échecs ?

Plusieurs éléments expliquent la faible efficacité des dialogues précédents :

  • Multiplicité et fragmentation des groupes armés :

Chaque grande milice (comme CODECO) possède de nombreuses ailes rivales, parfois opposées. Un accord signé par une branche n’engage pas toujours les autres.

  • Faible suivi des engagements :

Les engagements ne sont souvent pas respectés, faute de mécanismes de vérification efficaces, de financement, ou d’autorité dissuasive.

  • Méfiance entre communautés :

Derrière les groupes armés, ce sont souvent des tensions identitaires ou foncières entre communautés (Hema, Lendu, Alur, Ndo-Okebo…) qui nourrissent la méfiance, rendant les accords fragiles.

  • Manque de crédibilité du P-DDRCS :

Le programme censé encadrer le retour à la vie civile peine à convaincre, en raison de lenteurs administratives, de manque de moyens, et d’absence de réintégration socio-économique crédible.

Qu’est-ce qui pourrait changer en juin 2025 ?

Le dialogue lancé ce 23 juin à Aru tente de corriger certaines faiblesses du passé. Selon les autorités, plusieurs changements majeurs ont été introduits :

  • Une coordination renforcée entre gouvernement, société civile et partenaires internationaux, notamment la Monusco et la CIRGL, afin de garantir un suivi rigoureux.
  • Une inclusion élargie : Ce dialogue ne se limite plus aux seuls groupes armés, mais implique aussi les chefferies coutumières, les femmes leaders, les jeunes, et même les associations victimes.
  • Des garanties sécuritaires auraient été obtenues : des zones de désengagement sont déjà identifiées, et le déploiement de troupes FARDC/Monusco autour d’Aru vise à rassurer les délégués.

Mais surtout, les leçons des échecs précédents semblent prises au sérieux par les parties. L’ancien vice-Premier ministre en charge de la Défense, Jean-Pierre Bemba, aurait même menacé de poursuites judiciaires et de perte de tout appui aux groupes qui signeraient sans appliquer.

Un test de crédibilité

Le dialogue de juin 2025 à Aru pourrait être la dernière fenêtre de confiance pour la paix en Ituri. Si cette nouvelle tentative échoue, la population locale risque de perdre toute foi dans les processus de paix pilotés depuis Kinshasa ou ailleurs.

Pour réussir, il ne suffira plus de signer un document. Il faudra désarmer effectivement, réintégrer dignement, et restaurer la justice et la vérité dans une province qui a trop souffert.

Car en Ituri, la paix ne se décrète pas. Elle se construit.

Papy Kilongo depuis Bunia

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