
RDC : Quand la justice rattrape la Justice : levée d’immunité de Mutamba, justice ou règlement de comptes politiques
La levée de l’immunité parlementaire du ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, marque un tournant dans le traitement des affaires judiciaires impliquant les membres du gouvernement en République Démocratique du Congo. Accusé de détournement de fonds publics à hauteur de 39 millions de dollars dans le cadre du projet de construction d’une prison à Kisangani, il se retrouve aujourd’hui directement exposé à une procédure judiciaire.
Mais au-delà de l’aspect strictement judiciaire, cette affaire soulève des enjeux politiques, institutionnels et symboliques majeurs.
Une levée d’immunité qui tranche avec les pratiques habituelles
Dans le contexte congolais, où les ministres sont rarement poursuivis alors qu’ils sont encore en fonction, la décision de l’Assemblée nationale de lever l’immunité de Mutamba est en soi un acte fort. Elle semble indiquer une volonté nouvelle de faire primer l’obligation de rendre compte sur les protections politiques. C’est un signal fort envoyé à l’opinion publique, souvent désabusée face à la culture d’impunité au sein des élites politiques.
Un dossier aux contours flous
Selon la Commission parlementaire ayant examiné le dossier, le ministre aurait reconnu des erreurs dans le processus d’acquisition du marché de construction de la prison. Mais ses défenseurs insistent : il ne s’agit pas de détournement avéré, puisque les travaux n’ont pas encore commencé et que les fonds ne sont pas encore engagés dans la réalisation concrète du projet.
Ce flou alimente deux lectures opposées. Pour les uns, les irrégularités signalées suffisent à justifier une enquête judiciaire, car elles révèlent une mauvaise gouvernance et de possibles intentions frauduleuses. Pour les autres, il s’agirait d’un procès politique, d’une «chasse aux sorcières», comme l’a dénoncé Constant Mutamba lui-même dans une déclaration aux accents victimaires et historiques : il se compare à Patrice Lumumba, laissant entendre que sa mise en accusation relève d’un complot visant à l’éliminer politiquement.
Justice ou politique ?
Ce qui se joue ici, c’est aussi une épreuve de force entre différentes institutions et sensibilités politiques au sein du pouvoir. Mutamba, connu pour ses positions tranchées et son engagement controversé, ne fait pas l’unanimité au sein de la majorité. Certains voient dans cette affaire une manœuvre pour l’écarter à l’approche de grandes échéances politiques. La posture du Procureur général, qui semble déterminé à le voir comparaître, est perçue par certains comme le reflet d’une volonté présidentielle de réaffirmer la lutte contre la corruption, un thème central du discours politique actuel.
Un test pour l’indépendance de la justice
Ce dossier est aussi un test pour la justice congolaise. Sa capacité à instruire l’affaire en toute impartialité sera observée de près par l’opinion publique comme par les partenaires internationaux. Une enquête rigoureuse, fondée sur des faits et non sur des règlements de comptes, pourrait redorer le blason d’une institution judiciaire longtemps soupçonnée d’être aux ordres.
L’affaire Mutamba va bien au-delà d’un simple dossier de passation de marché. Elle révèle les tensions internes du pouvoir, les fragilités de la gouvernance publique, et les luttes d’influence dans les hautes sphères de l’État. Elle pose aussi une question cruciale : la justice congolaise peut-elle aujourd’hui juger un ministre en toute indépendance, ou ce procès sera-t-il le théâtre d’un affrontement politique déguisé ?
Dans tous les cas, l’issue de ce dossier pourrait faire jurisprudence dans la manière dont la RDC traite désormais les affaires impliquant les hauts responsables de l’État.
Papy Kilongo, depuis Bunia
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