
Ituri : Quand la misère pousse les adolescentes dans les maisons de tolérance à Bunia
Une récente enquête dans les quartiers Bankoko, Bakongolo, Lumumba et Hoho révèle une réalité alarmante : près de soixante maisons de tolérance accueillent des jeunes filles âgées principalement entre 15 et 17 ans. Un phénomène qui soulève de vives inquiétudes dans cette ville en pleine expansion, où les mécanismes de protection de l’enfance semblent dépassés par l’ampleur du problème.
Une pauvreté écrasante, racine du phénomène
À Bunia, la pauvreté généralisée constitue l’un des principaux moteurs de la présence des filles mineures dans ces lieux de débauche. « Beaucoup de familles n’ont plus les moyens de subvenir aux besoins essentiels de leurs enfants », explique Jeanne*, une assistante sociale. Faute d’alternatives, certaines adolescentes sont contraintes d’abandonner l’école pour chercher des moyens de survie, devenant ainsi des proies faciles pour les recruteurs de maisons de tolérance.
Le déplacement forcé et l’instabilité sociale
La situation est aggravée par les déplacements massifs dus aux conflits armés dans l’Ituri. De nombreuses adolescentes déplacées, sans protection familiale adéquate, tombent entre les mains de réseaux qui exploitent leur vulnérabilité. À Hoho et Bankoko notamment, plusieurs filles interrogées ont confié être originaires de territoires en proie aux violences, comme Djugu ou Mahagi.
Le rôle ambigu des maisons de tolérance
Sous couvert d’être des « bars » ou des « salons de coiffure », ces maisons de tolérance opèrent dans une semi-clandestinité tolérée. Leur prolifération dans les quartiers périphériques montre une forme de complicité tacite, parfois entre propriétaires, autorités locales et certains membres des forces de l’ordre. « Il arrive que lors des descentes policières, les filles soient cachées ou relâchées peu après », déplore un activiste sous anonymat.
Failles légales et manque de répression
La législation congolaise interdit l’exploitation sexuelle des mineurs, mais son application demeure faible à Bunia. Le manque d’enquêtes sérieuses et la corruption généralisée empêchent la poursuite judiciaire des responsables. Selon plusieurs ONG locales, la majorité des dossiers d’exploitation de mineures sont abandonnés ou jamais ouverts.
Chantal, 16 ans, raconte son quotidien dans l’une de ces maisons :
« Je n’avais pas le choix. Mon père est mort, ma mère ne travaille pas. J’ai été amenée ici par une amie. Maintenant, je gagne de quoi manger, mais je suis souvent battue si je refuse des clients. » Ces récits soulignent la dimension tragique d’un phénomène alimenté par le désespoir autant que par l’impunité.
Quelles réponses possibles ?
Face à cette situation, quelques initiatives émergent. Des associations locales lancent des campagnes de sensibilisation et proposent des programmes de réinsertion, mais elles manquent cruellement de moyens. Des voix s’élèvent aussi pour demander des mesures plus fortes : fermeture des maisons de tolérance, renforcement de la protection sociale et poursuites judiciaires systématiques contre les exploitants.
Mais sans une réelle volonté politique et un engagement communautaire fort, ces jeunes filles resteront les premières victimes invisibles d’une ville en mutation rapide.
Papy Kilongo depuis Bunia
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