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Bunia : le provisoire devenu définitif pour les déplacés de Djugu, des vies suspendues entre exil et oubli

Depuis plus de dix ans, la ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, est devenue un refuge forcé pour des milliers de familles fuyant les violences récurrentes dans le territoire de Djugu. Ces déplacés internes, venus de localités autrefois paisibles, vivent aujourd’hui dans des conditions précaires. Et pourtant, paradoxalement, certains commencent à s’y « habituer ». Une adaptation troublante, révélatrice d’un désespoir silencieux.

Dans les sites de déplacés de Bunia et ses environs : ISP, Lycée Kigonze, ou encore Mudzipela dans la commune de Sharie , la vie s’organise tant bien que mal. Des abris de fortune sont devenus des maisons durables, des enfants y naissent, grandissent, vont à l’école. Le provisoire s’installe dans la durée.

Beaucoup de familles disent ne plus envisager un retour à Djugu, faute de garanties de sécurité, mais aussi parce qu’elles se sont « adaptées » à une nouvelle forme d’existence. Une vie marquée par la dépendance à l’aide humanitaire, et par une solidarité urbaine de survie.

Ce phénomène d’accoutumance à la souffrance pose une question dérangeante : jusqu’où peut-on s’habituer à vivre dans une dignité amputée ?

Un retour encore incertain

Malgré les appels à la paix et les tentatives de réconciliation, le territoire de Djugu reste une zone d’ombre. Les attaques sporadiques, les tensions communautaires et les déplacements en chaîne prouvent que l’insécurité n’a pas dit son dernier mot.

Chaque tentative de retour s’achève dans la peur. Les promesses de stabilité restent suspendues dans l’air, pendant que les camps de déplacés s’étendent, comme pour rappeler que la guerre s’est enracinée ici, dans les terres comme dans les âmes.

La présence prolongée des déplacés exerce une pression croissante sur les infrastructures déjà fragiles de Bunia : accès à l’eau, à la santé, à l’éducation, ou encore à l’emploi. Les jeunes nés dans les camps grandissent avec une identité floue, celle de personnes « d’ici et d’ailleurs », sans repères stables.

Les femmes, souvent cheffes de ménage, portent le poids le plus lourd : nourrir leurs enfants, trouver de quoi survivre chaque jour, et garder l’espoir d’un retour qui s’éloigne à chaque nouvelle rumeur d’affrontement.

Dans certains sites, les enfants passent leurs journées à quémander quelques pièces à la sortie des supermarchés, des alimentations ou des débits de boisson. Leurs rires d’enfants se mêlent à la fatigue des adultes, dans un quotidien où la survie a remplacé l’avenir.

Un silence politique pesant

Pendant que les organisations humanitaires multiplient les interventions ponctuelles, la réponse politique reste timide.
Peu d’initiatives publiques visent à transformer ces sites en véritables espaces de vie, ou à planifier un retour durable et sécurisé.

Bunia, ville d’accueil malgré elle, semble figée entre compassion et lassitude.
Les déplacés, eux, continuent d’exister dans une attente sans fin — celle d’un État qui tarde à leur rendre une terre, un foyer, une dignité.

Et demain ?

L’avenir de ces milliers de déplacés ne peut se réduire à l’attente d’une accalmie hypothétique. Il appelle à une réflexion collective : comment redonner à ces femmes et enfants la possibilité de choisir ? Rester, mais dans la dignité. Ou rentrer, mais dans la sécurité.

Entre ces deux impossibles, Bunia devient le théâtre d’une humanité suspendue, celle de gens qui, à force de survivre, ont oublié ce que vivre voulait dire.

Zacharie Asimoni, depuis Bunia

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