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Christian Utheki et la justice militaire : analyse approfondie d’une annulation qui fait jurisprudence

La décision récente de la Cour Militaire du Nord-Kivu dans l’affaire opposant le Ministère Public à Christian Utheki, avocat et enseignant d’universités constitue un élément nouveau majeur dans le dossier. En annulant le jugement initial du Tribunal Militaire de Garnison de Beni, pour irrégularité de composition, la Cour remet l’affaire « à zéro », sans examiner le fond. Cette annulation soulève d’importantes questions juridiques et procédurales sur la détention et le statut du prévenu.

La Cour Militaire a constaté qu’un juge présent au prononcé de la condamnation initiale n’avait pas participé à l’instruction, et n’avait donc pas pu suivre les débats ni être informé des éléments du dossier. La jurisprudence congolaise est claire : selon l’arrêt RC 164 de la Cour Suprême de Justice (03 juillet 1979), « seuls les juges ayant assisté à toute l’instruction peuvent rendre un jugement ». La non-participation d’un membre entache la décision d’une irrégularité d’ordre public, entraînant automatiquement son annulation.

Conséquence directe : la condamnation de 20 ans de servitude pénale pour participation à un mouvement insurrectionnel, outrage à l’armée et démoralisation des troupes est annulée. Mais l’affaire n’est pas close : la procédure doit être régularisée par le tribunal compétent.

Points de vue divergents : défense vs. Auditorat Militaire

  • Selon l’auditorat Militaire, l’institution insiste sur le fait que l’annulation ne libère pas automatiquement le prévenu. Selon eux, Christian Utheki reste sous l’effet du premier jugement jusqu’à ce que le tribunal reprenne le dossier et corrige les irrégularités. Tout argument contraire est considéré comme un « mépris envers la Haute Cour Militaire » et un « outrage à la magistrature »
  • Défense : Me Christian Mugisho, membre du collectif d’avocats de Utheki soutient que l’annulation de la décision initiale vide tous ses effets, y compris la détention. Pour eux, le maintien de Utheki en prison est devenu illégal et arbitraire, car il n’existe plus de décision judiciaire valide pour justifier sa détention. Ils précisent également que la libération conditionnelle n’est pas applicable puisque Utheki est redevenu prévenu à la suite de l’appel.

Cette divergence souligne le clivage sur l’interprétation de la procédure juridique militaire en RDC et l’importance des notions de détention légale et de régularisation judiciaire.

Retour sur l’ensemble du dossier

Utheki avait été condamné pour :

  1. Participation à un mouvement insurrectionnel (Groupe Zaïre, territoires de Djugu et Mahagi) ;
  2. Outrage à l’armée (propos tenus à Tchomia) ;
  3. Démoralisation des troupes (allocution à la radio).

La défense avait contesté ces accusations, invoquant l’absence de preuves tangibles, la mauvaise interprétation des propos, et le caractère politique ou intellectuel de ses interventions.

Analyse du fond :

La Cour d’appel a choisi de ne pas évoquer le fond, se limitant à constater la violation de la procédure. Cela montre que la justice militaire privilégie la régularité formelle des procédures sur le jugement des faits, conformément au Code Judiciaire Militaire (articles 21, 246, 278).

Implications juridiques et procédurales

  1. Respect de la procédure et légitimité des jugements

Cette affaire rappelle que toute irrégularité de composition entache le jugement d’invalidité, même lorsque les preuves semblent établies. La jurisprudence militaire congolaise accorde une primauté stricte à la composition et à la participation aux débats.

  1. Détention préventive et légalité

Avec l’annulation, la détention de Utheki devient contestable. La défense pourrait saisir la Cour pour obtenir une remise en liberté immédiate.

  1. Rôle du juge d’appel

La Cour militaire a ici choisi de ne pas évoquer le fond, se limitant à l’annulation. Cette distinction est importante : la loi militaire congolaise autorise l’appel à annuler et à évoquer ou à annuler sans évoquer. Dans ce dernier cas, la responsabilité de régulariser le dossier revient au tribunal de première instance et au ministère public.

  1. Prévention des abus

L’affaire illustre l’importance de la vigilance dans les procédures militaires pour éviter que la détention préventive ne devienne arbitraire, garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux des prévenus.

  1. Comparaison avec des précédents jurisprudentiels

Plusieurs affaires militaires en RDC ont vu des annulations pour irrégularité de composition :

  • RC 164, Cour Suprême (1979) : annulation pour un juge n’ayant pas assisté à l’instruction.
  • Affaire de garnison de Kisangani (2018) : annulation d’un jugement de détention pour vice de procédure similaire.

Ces précédents confirment que la régularité formelle prime sur le fond, et qu’un jugement annulé entraîne un retour à l’état initial du prévenu, avec toutes les implications sur la détention.

L’élément nouveau de cet arrêt (l’annulation pour irrégularité de composition sans réexamen du fond) change profondément la lecture de l’affaire Utheki. Il met en évidence :

  • La rigueur exigée dans les procédures militaires ;
  • Les limites de la détention préventive ;
  • l’importance pour le ministère public de reprendre correctement le dossier afin de corriger les irrégularités.

Dans l’immédiat, Christian Utheki reste détenu, mais sa détention est juridiquement contestable. L’avenir du dossier dépendra de la capacité du tribunal et du ministère public à régulariser la procédure et à garantir les droits du prévenu, tout en préservant la légitimité de la justice militaire.

Papy kilongo depuis Bunia

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